Mafia: The Old Country – Une Ascension Éblouissante, un Effondrement Bruyant
Un Retour à l’Âge d’Or du Crime
Mafia: The Old Country s’avance avec la promesse de replonger dans les racines de la saga, dans un monde où la vendetta et l’honneur familial dictent chaque geste. L’ouverture est magistrale : une Italie fictive des années 1950, saturée de couleurs chaudes, de fumées de cigares et de regards froids. On entre dans la peau d’Enzo Torrisi, jeune ambitieux issu de la poussière des rues, qui grimpe rapidement les échelons de la famille mafieuse locale. La structure narrative épouse cette logique implacable : chaque mission est un pas vers la reconnaissance, chaque trahison une étape dans le théâtre classique du crime. C’est l’épopée d’une ascension fulgurante, celle d’un homme prêt à brûler le monde pour sa famille. En ce sens, le jeu respecte la tradition du film noir et des grands récits criminels, flirtant avec les codes d’un Scarface transposé dans une version italienne idéalisée.
Le récit fonctionne, au moins dans ses deux premiers actes. Il captive par sa cohérence, par ce rythme implacable qui donne envie de poursuivre la chute d’Enzo dans un univers où le sang coule plus vite que le vin. On comprend très vite pourquoi certains joueurs choisissent d’acheter Mafia: The Old Country : pour vivre ce moment de grâce narrative, cette plongée dans l’ivresse d’une réussite criminelle, avant que la fête ne tourne au vinaigre.
Des Tropes de Genre Fatigués
Mais là où Mafia III avait étonné par sa lucidité, en proposant un protagoniste afro-américain marqué par le racisme systémique et entouré de personnages féminins mieux écrits qu’à l’accoutumée, The Old Country retombe dans une nostalgie embarrassante. Les femmes y sont soit des mères éplorées, soit des amantes fragiles, soit des prostituées caricaturales. Aucune n’existe en dehors du regard masculin. La figure de l’épouse silencieuse, toujours en arrière-plan à la cuisine, renvoie à des clichés usés qui semblent tout droit sortis d’un mélodrame des années 1950. Quant aux personnages masculins, ils incarnent tous une virilité caricaturale, faite de muscles, de fusils et de sourires carnassiers. Le jeu ne questionne jamais cette représentation : il la glorifie.
Cette régression est d’autant plus criante que l’industrie semblait enfin vouloir se défaire de ces schémas binaires. Ici, au lieu de s’inspirer des efforts d’écriture modernes, le jeu choisit la voie facile du cliché. Ce choix n’est pas anodin : il reflète une frilosité créative, une peur de froisser le public nostalgique. Le résultat, c’est une fresque qui charme par son esthétique, mais qui déçoit dès qu’on gratte sous la surface. Ce n’est pas seulement une question de moralité ; c’est aussi une question de richesse narrative. En réduisant ses personnages féminins à des ombres, le jeu s’ampute lui-même d’une profondeur qu’il aurait pu atteindre.
La Maladie des Jeux “Supersized”
Au-delà de ses personnages, Mafia: The Old Country illustre un autre problème contemporain : celui des jeux gonflés à bloc par les décisions des comités exécutifs. Le monde est vaste, magnifique à explorer, mais saturé d’activités inutiles. On sent derrière chaque détour la volonté d’imiter les blockbusters modernes, de justifier un prix élevé par une durée de vie artificiellement allongée. Ces quêtes secondaires répétitives, ces mécaniques de grinding déguisées, ne sont pas le fruit d’une inspiration créative, mais d’un calcul froid : garder le joueur accroché comme TikTok garde l’utilisateur scotché à son écran.
C’est la logique du divertissement industriel : mieux vaut 100 heures creuses qu’une expérience de 25 heures intenses. Mafia: The Old Country cède à cette tentation, au lieu d’opter pour la densité dramatique qui a fait la force des premiers épisodes. En ce sens, le jeu s’inscrit dans la même tendance que d’autres mastodontes modernes, qui préfèrent l’infini au pertinent. On comprend la logique économique, mais le joueur perd dans l’affaire. Ceux qui veulent acheter des jeux PS5 aujourd’hui se retrouvent trop souvent devant cette inflation de contenu où quantité prime sur qualité.
La Splendeur du Début
Soyons justes : le premier contact avec le jeu émerveille. Les décors respirent une authenticité vibrante, les rues animées des marchés, les intérieurs feutrés des salons privés, les champs ensoleillés de la campagne environnante. Chaque lieu raconte une histoire. L’esthétique, fidèle mais sublimée, rend hommage à la culture méditerranéenne sans sombrer dans la caricature. Les premières missions, elles, frappent par leur intensité : braquages nerveux, courses-poursuites sous la pluie, dialogues tranchants comme des rasoirs. C’est une expérience qui captive immédiatement, une fresque digne des plus grands drames criminels.
On sent alors la promesse d’un chef-d’œuvre, un jeu capable de rivaliser avec les ténors narratifs contemporains. La montée en puissance d’Enzo est crédible, rythmée par des choix moraux qui semblent peser sur le joueur, même si la structure reste linéaire. À ce stade, Mafia: The Old Country s’impose comme un bijou de mise en scène, un jeu qui pourrait réconcilier les amoureux de la narration classique avec les standards techniques modernes.
Le Dernier Acte : Une Chute Spectaculaire
Puis vient le troisième acte. Et là, tout bascule. Là où l’intrigue semblait orchestrée avec une précision chirurgicale, elle s’effondre dans une cacophonie de rebondissements forcés. Les choix narratifs, qui jusque-là paraissaient cohérents, se transforment en pirouettes scénaristiques. Les personnages changent soudainement de motivation, les dialogues s’alourdissent, et la fin divise de manière violente. Comme The Last of Us Part II, le jeu choisit un virage radical, refusant le confort du dénouement attendu. Mais là où l’audace pouvait fonctionner, elle se traduit ici par une impression de maladresse, comme si les scénaristes avaient été pris de panique devant l’ampleur de leur propre fresque.
Le joueur reste bouche bée, mais pas dans le bon sens. On ne se sent pas bouleversé, on se sent frustré. La promesse d’un récit classique et maîtrisé s’achève en une expérimentation mal exécutée. Ce choix va sans doute alimenter les débats pendant des années, certains y voyant une audace salutaire, d’autres une trahison pure et simple de l’expérience initiale.
Un Produit de son Époque
Ce qui frappe au final, c’est à quel point Mafia: The Old Country est prisonnier de son époque. Il veut plaire aux nostalgiques avec ses codes rétro, séduire les nouveaux joueurs avec son gigantisme, et marquer les esprits avec une fin choc. Mais à force de vouloir tout embrasser, il finit par se contredire. C’est un jeu splendide dans ses textures, fascinant dans son décor, mais hésitant dans son identité. La comparaison avec des titres comme Borderlands 4 est éclairante : là où la franchise rivale assume pleinement son chaos et son exagération, The Old Country cherche encore à se définir entre tradition et modernité, sans jamais trancher.
Conclusion : Entre Chef-d’Œuvre et Déception
Mafia: The Old Country est un paradoxe. C’est un jeu capable de captiver par sa mise en scène, de séduire par sa narration initiale, et de frustrer par ses choix finaux. C’est un miroir de l’industrie vidéoludique actuelle : brillante sur le plan technique, mais souvent prisonnière des attentes contradictoires d’un marché saturé. Ceux qui veulent revivre l’âge d’or des récits criminels y trouveront un festin visuel et narratif, du moins avant que le dessert ne gâche le repas. Ceux qui attendaient une véritable évolution de la saga, une réflexion mature sur ses thèmes et ses personnages, ressortiront avec un goût amer.
On pourrait résumer l’expérience ainsi : c’est un jeu qui commence comme un chef-d’œuvre et se termine comme une déception. Une fresque qui ne manque jamais de style, mais qui parfois oublie la substance. Un titre qui mérite d’être joué, critiqué, et surtout débattu. Car même dans ses échecs, il reste fascinant.
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